Les chevaliers à l'armure verte
première partie
Il était une fois un jeune prince courageux et brave qu'on appelait Lewys.
Dernier-né du roi Guillaume et de la reine Jane, le jeune Lewys s'était pris de passion pour la compagnie héroïque et légendaire des chevaliers du Forez.
Las, les temps avaient changé. Le royaume du Forez était tombé en déshérence. Ses richesses, qu’il tirait de la terre et de son sous-sol, s’étaient taries. Les mines où l’on extrayait jadis du charbon avaient fermé, l’usine où l’on fabriquait naguère des vélos et des fusils avait été démantelée.
D’autres royaumes, plus puissants, étaient apparus aux marches mêmes du Forez. La ville franche de Lyon, où des bourgeois sans manière avaient chassé les anciens princes, avait fait fortune sur l’activité trading joueurs, un nom barbare qui cachait de peu louables pratiques d’esclavagisme. Plus au sud, Marseille, qu’avantageaient la présence de la mer Méditerranée et de sombres réseaux criminels organisés, s’était développé. A l’ouest, Bordeaux et sa façade atlantique dominaient. Au nord, d’autres villes-Etats avaient prospéré: Paris, Le Mans, Nancy.
Dans le Forez, où les hivers sont rudes et les étés incandescents, les hommes et les femmes du peuple se lamentaient. Ils vivaient sur le souvenir de leur grandeur passée, quand les chevaliers du Forez, reconnaissables entre tous à leur armure verte, semaient la terreur et l’effroi dans toutes les terres du milieu et même en Orient, sur les rives embrumées de la mer Caspienne. Là où passaient les chevaliers du Forez, disait-on, l’herbe repoussait verte, forcément verte.
Le soir au coin du feu, dans les taudis mal chauffés qu’était devenu l’habitat traditionnel forézien, les enfants se réunissaient autour d’un ancien. « Fouya », commençait ce dernier, un ricard à la main, une gitane sans filtre coincée entre les lèvres. C’était le signal magique, le sésame mythique. Alors l’ancien racontait encore et encore un épisode des temps jadis.
Ces histoires avaient profondément marqué les jeunes enfants du Forez. Devenus adultes, chassés de leur terre reculée par la misère et la pauvreté, ils avaient emmené avec eux pour seul bagage la mémoire collective des riches heures du Forez et essaimé à travers toute la terre de France. Le soir dans les tavernes où ils tentaient de noyer dans le houblon leur insondable tristesse, ils étaient souvent la risée des autres commensaux. On les appelait Losers, on les appelait nostalgiques, déclinologues. On les disait enfermés dans le passé, incapables de s’adapter aux nouvelles réalités de la globalisation.
Un jour, l’un d’eux, exilé, déraciné, posa son errance dans un bourg normand sur lequel régnaient le roi Guillaume et la reine Jane. Le couple royal avait trois enfants, trois rayons de soleil qui perçaient les nuages et balayaient les pluies qu’un destin contraire, une malédiction, avaient accumulés au-dessus de la contrée. Ils avaient pour nom Myfanwy, Owen et Lewys. Le pauvre hère chassé du Forez avait trouvé là la bonté, la générosité et le houblon qui lui manquaient tant depuis son départ en exil.
A son tour, comme les anciens qu’il vénérait dans ses jeunes années, il entreprit de conter la saga du royaume détruit. Mais Myfanwy était trop occupée par le prochain numéro de son magazine sur l’art équestre. Owen lui n’en avait que pour l’armée surbudgétisée de Lyon. Seul Lewys l’écouta.
(à suivre)
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