mardi 28 septembre 2010

Nous aurons toujours Sainté



Et le moins de trente ans, que peut-il bien en penser, lui, du déferlement médiatique qui accompagne le retour de l’AS Saint-Etienne au sommet de la Ligue 1 ? Il a parcouru les sites internet le week-end dernier, regardé peut-être les chaînes d’information continue, écouté la radio. Il a pu apercevoir les Unes de L’Equipe. Qui c’est les plus forts ? Evidemment c’est les Verts. Encore cette bande de perdants magnifiques, ce mythe de la défaite érigée en triomphe. Ils ne sont même pas sur PES, les cons ! Hé, le moins de trente ans, approche, nous allons t’expliquer pourquoi nous aurons toujours Sainté.

Tu es né après 1980. Quand tu as grandi, ton père, tonton Georges, ta sœur aînée peut-être, t’ont parlé de Séville 1982. Tu étais peut-être devant ta télé pour Guadalajara 1986. Tu n’étais même pas majeur quand Aimé Jacquet et ses hommes ont soulevé la Coupe du monde, un soir de juillet 1998. Cette nuit-là, tu as bu de la bière chaude dans les rues de ta ville de province ou sur les Champs-Elysées. Cette nuit-là, tu as peut-être perdu ta virginité et tu es entré dans l’âge adulte. Pour toi, le football, c’est l’équipe de France, le maillot bleu frappé d’une étoile à la place du cœur. L’absence des Bleus en Coupe du monde, c’est une incongruité, un accident de parcours. Pour nous qui t’avons précédé dans l’ordre des générations, il n’en va pas ainsi.

Lorsque l’épopée verte se déploie sur le théâtre européen, le football français traverse un long hiver. Depuis l’aventure suédoise de 1958, l’équipe nationale ne s’est qualifiée qu’une fois pour une phase finale de Coupe du monde. C’était en 1966, en Angleterre, et les Bleus avaient retraversé la Manche dès la fin du premier tour. Alors imagine. Ton père roule en Peugeot 504, tu vis dans une zone pavillonnaire, tu aimes le football mais c’est la honte. Ton correspondant allemand se fout de ta gueule. Et tu regardes à la télé les premières retransmissions de matches en direct. Trois caméras maximum, des inserts en télétexte, un gros R qui clignote dans un coin pas carré de ton écran lorsque le réalisateur parcimonieux lance un ralenti. Le foot entre dans les livings. Et tu vois quoi ? L’Association sportive de Saint-Etienne qui ferraille sur des terrains douteux, à Simféropol, à Split. Tu n’as jamais vu ton père excité comme ça. Tu habites Marseille, Bordeaux ou Lille (mais pas Lyon), sur une carte muette, tu ne saurais même pas situer Sainté. Sous tes yeux, les Verts deviennent le vecteur du football national, ils lèvent haut le flambeau depuis trop longtemps à terre de la sélection nationale. Canal Plus n’existe pas et ses dirigeants n’ont pas encore mis en scène d’artificielles rivalités entre club pour dramatiser leur Grand feuilleton de la Ligue 1. Tu habites donc Nancy, Toulouse ou Paris (mais pas Lyon), mais tu t’enthousiasmes. Quand Saint-Etienne joue, c’est un peu l’équipe de France qui est sur le terrain.

Le 12 mai 1976, les onze Stéphanois alignés au coup d’envoi de la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions représentent bien plus qu’un bout du Forez, portent bien plus que des ambitions régionales. La défaite les attend mais parce qu’ils ont fait plus que se défendre face au Bayern Munich, ils démontrent que les footballeurs français sont capables de rivaliser avec les meilleurs. Ces Stéphanois, augmentés de quelques Nantais, forment l’ossature de l’équipe de France qui s’apprête à renouer avec l’élite du ballon rond et vivre à son tour sa belle (enfin, belle…) saga. Mais dans notre roman national, il est écrit qu’au moment où nous descendions dans la crise du choc pétrolier, un club local a porté seul et dix années durant les ambitions nationales du football tricolore.

Voilà pourquoi sans le 12 mai 1976, il n’y aurait pas eu de 12 juillet 1998. Voilà pourquoi les Verts occuperont toujours une place à part. Voilà pourquoi nous aurons toujours Sainté.

QUATRE LIGNES DE TEMPS ADDITIONNEL
"Le retour des Verts n'est pas le retour d'un mythe, c'est un mythe en lui-même, celui d'un éternel retour perpétuellement déçu. Jusqu'au moment bien sûr où la magie sera durable", écrit Vincent Duluc samedi dernier dans Quiplé. Vous avez quatre heures.