J'avais posé ma fille à l'école, réassorti sur le chemin du retour les stocks de notre garde-manger. J'avais retapé les oreilles, lissé les draps-housses et lavé la vaisselle du petit-déjeuner. A la salle de bain, une machine tournait. A la fenêtre de la cuisine, j'avais fumé une cigarette en buvant un café. Et je contemplais mon ventre mou.
Dixième d'un classement à vingt entrées. A cinq points du leader et à cinq points de la relégation. Cinq victoires et quatre défaites. Dix-sept buts marqués pour quinze encaissés: je contemplais mon ventre mou et demeurais sans réaction. L'AS Nous, tantôt famélique, tantôt sculpturale, ne m'avait pas habitué à cela. A pareille époque l'an dernier, et idem en 2008-2009, nous frôlions la relégation. Deux ans plus tôt, nous étions à la lutte pour les belles places. Deux mois plus tôt aussi. Mais à mesure que nous nous enfoncions dans l'automne, il ne se passait plus rien. Même les regrets tombaient des arbres sans vraiment résister.
L'expulsion de Bergessio à Nice ? Le pénalty manqué de Payet face à Caen ? Dans le classement virtuel que nous aimons actualiser, nous les croyants transis du Grand Questionnement, nous les fidèles zélés de l'arrondissage rétroactif des poteaux carrés, trois points envolés à Nice + deux face à Caen font cinq qui nous installeraient aux commandes de la Ligue 1.
Mais ma foi vacillait tandis que je contemplais mon ventre mou. Je n'avais pas le coeur à tracer de plans sur de fugitives comètes. La paroi était lisse, sans aspérités, rien pour poser la main, le pied, s'élever. La paroi était horizontale aussi, sans gravité, aucun risque de tomber. J'en étais à me demander si Francis Fukuyama n'était pas dans le vrai. Je n'avais rien à perdre, rien à espérer. Je jetais un oeil sur le calendrier: l'AS Nous était annoncée à Nancy puis à Valenciennes en match en retard de la onzième journée. Ah wé, extase & félicité !
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HUIT LIGNES DE TEMPS ADDITIONNEL
C'est passé inaperçu, mais ce visionnaire de Michel Houellebecq décrit dans La Possibilité d'une île ce que ressent le peuple vert en ces mornes semaines. "La température de l'air et celle de l'eau devaient être égales, et devaient être proches de 37°C, car je ne ressentais aucune sensation de froid ni de chaleur; la luminosité était vive sans être éblouissante (...); le sable était tiède, soyeux. Alors je réalisai que j'allais vivre ici, et que mes jours seraient nombreux." (p. 480)
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